Escrime A Paris s’est lancée dans une démarche RSA, responsabilité sociale des associations, et s’inscrit dans le cadre de la loi de 2014 pour l’égalité. En 2021, il faut encore militer pour que le nombre de femmes dans les instances exécutives respecte une représentation « proportionnelle » au nombre de femmes pratiquantes. Il y a encore du travail…
Femmes et dirigeantes sportives, les présidences des fédérations françaises encore très peu féminisées
Publié le 05/03/2021 à 07:00
Malgré une politique de quotas dans les postes à responsabilités, les femmes sont encore peu nombreuses à diriger des fédérations sportives, freinées par un système masculinisé depuis sa création. Mais des programmes d’accompagnement à destination des femmes fleurissent et pourraient donner lieu dans les années à venir à une féminisation des présidences.
« Osez prendre des responsabilités dans le sport. » Huit ans après, l’invitation de l’ancienne ministre des Sports, Marie-George Buffet, à destination des femmes tient toujours. Si, samedi 6 mars, la fédération française de football américain va élire une présidente, les deux listes enregistrées étant menées par des femmes, cette élection fait (presque) figure d’exception dans le monde du sport français.
À la tête de seulement 13 des 115 fédérations agréées par le ministère, les femmes sont peu nombreuses à être aux commandes d’instances sportives. Un constat encore plus frappant si l’on ne s’intéresse qu’aux fédérations olympiques : sur 36, seulement deux – la fédération des sports de glace représentée par l’ancienne patineuse, Nathalie Péchalat, et celle de hockey, dirigée depuis janvier par Isabelle Jouin – ont élu des présidentes.
Une féminisation des instances enclenchée depuis cinq ans
Les instances exécutives des fédérations françaises ont l’obligation d’avoir un certain nombre de femmes dans leur composition, en vertu de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Dans les fédérations où les femmes représentent un quart des licences ou davantage, au moins 40 % des sièges des instances dirigeantes – comité directeur ou conseil d’administration – doivent leur revenir. Pour les fédérations où les femmes représentent moins du quart des membres, la proportion n’est plus que de 25 %.
Cette législation, appliquée depuis 2016, a entraîné une augmentation du taux de féminisation des directions des fédérations. De 26,5 % en 2013, la proportion de femmes dans les instances est passée à 35,3 % à l’été 2018, après les différentes élections fédérales entre 2016 et 2018 selon une étude de l’association Égal Sport. Un chiffre qui pourrait augmenter dans les années à venir. Une proposition de loi sur la démocratisation du sport, en discussion à l’Assemblée nationale le 10 mars, vise la parité dans les instances de direction (passer de 40 % à 50 % de femmes) et souhaite imposer une représentation féminine à tous les échelons à partir de 2028. Une disposition qui va « ouvrir des portes aux femmes, en leur permettant de prendre plus de responsabilités au niveau local », estime la députée LREM Céline Calvez, co-rapporteur de la proposition de loi.
Des quotas « nécessaires » mais « insuffisants »
Accéder aux hautes sphères sportives reste compliqué pour les femmes. Malgré une carrière de nageuse (médaillée aux Jeux paralympiques de Séoul), des années d’implication à la fédération handisport et une multitude de postes occupés à différents échelons, Guislaine Westelynck n’avait « jamais pensé un jour en prendre la présidence ». « J’étais étonnée quand on m’a proposé le poste », se souvient celle qui était trésorière de la fédération quand elle en a repris les rênes en 2018. Un rôle de présidente dans lequel l’ancienne nageuse a convaincu, puisqu’elle a été réélue en octobre 2020 pour un mandat de quatre ans.
Si la France est un des seuls pays européens à mener une politique volontariste en matière de gouvernance sportive, pour Annabelle Caprais, sociologue du sport, ses effets sont limités. « L’efficacité de la loi de 2014 est faible. La plupart des fédérations se contente d’appliquer le quota et s’en lave les mains, ne cherchant pas à le dépasser. Alors qu’il est théoriquement conçu comme un minimum, le quota devient un maximum », explique la docteure en sociologie, qui a consacré une thèse à la place et au rôle des femmes dans la gouvernance des fédérations sportives. « Certaines instances ont mis en place des stratégies de contournement pour éviter de se plier à la législation. Il n’y a pas de réflexion plus générale sur le fonctionnement des fédérations, sur l’inclusion des femmes au sein de leur système », souligne-t-elle avant de conclure : « Les quotas sont nécessaires, mais restent très insuffisants. » Un avis partagé par de nombreuses femmes impliquées dans le monde du sport, à l’instar de la vice-présidente de la fédération de cyclisme, Marie-Françoise Potereau, elle-même « femme de quotas ». « Cette politique a ses limites, mais c’est la seule manière de faire bouger les lignes, sinon on mettra cent ans à arriver à l’égalité. »
« Un système verrouillé pensé par et pour les hommes »
Même une fois en poste, et malgré « leur grande expérience », les femmes élues « ont du mal à s’imposer et à se faire écouter », explique Annabelle Caprais. Pourquoi ? « À cause du fonctionnement global du système, dont les hommes connaissent tous les rouages », estime la docteure en sociologie. « Le sport a été créé par et pour les hommes. Toutes les règles du mouvement sportif sont calquées sur ce modèle masculin », renchérit Marie-Françoise Potereau. Remarques sexistes, interruptions en réunion : les débuts peuvent être compliqués. « Vous arrivez dans une arène, vous combattez les blagues à deux balles, vous vous battez pour prendre la parole. Il ne faut pas se laisser faire », précise Marie-Françoise Potereau, première femme à avoir occupé le poste de cadre technique à la fédération de cyclisme. « Taper du poing sur la table. » C’est ce qu’à fait Brigitte Schleifer en prenant la tête de la fédération de football américain, en 2018 après la démission du président et de son trésorier. « Les hommes avaient toujours géré la fédération et, au départ, cela a été compliqué de me faire entendre quand je suis arrivée en cours de mandat. J’étais une femme, venant de la discipline minoritaire [le cheerleading], et je n’avais pas une carrure imposante : j’avais tous les ‘défauts’ ! Beaucoup ont cru que je n’allais pas réussir à tenir tête aux fortes personnalités », se rappelle-t-elle. « Il a fallu un peu de temps à certains pour accepter le fait que j’avais ma place. »
Accompagner les futures candidates
Pour encourager les femmes à se lancer, plusieurs programmes de féminisation des instances sportives ont vu le jour ces dernières années. Depuis 2013, Marie-Françoise Potereau dirige Femix’Sports, une association de promotion de la place des femmes dans le sport, qui propose des formations à celles qui voudraient prendre des responsabilités institutionnelles. Parmi les différents modules, un programme de repérage et d’accompagnement des femmes « à hauts potentiels », en mesure de briguer des postes de présidentes. « J’ai connu tous les freins dans ma carrière, ça a été un véritable parcours du combattant pour en arriver là où je suis aujourd’hui », raconte la présidente de l’association et vice-présidente de la fédération de cyclisme. « À l’époque, j’ai été soutenue par de grandes dames, notamment Marie-Georges Buffet. Aujourd’hui c’est à mon tour d’aider la nouvelle génération », précise celle qui aime dire que « la force est dans la meute ». Isabelle Jouin, élue en janvier à la fédération de hockey, a bénéficié de cet accompagnement spécifique, qu’elle considère comme un tremplin. « Sans Femix’Sports je n’aurais pas proposé ma candidature », confie l’ancienne présidente du Carquefou Hockey club. « Je ne me sentais pas du tout capable de porter un tel projet, et les conseils de Marie-Françoise [Potereau] ont été très précieux. »
Cette problématique de féminisation des fédérations, Sarah Ourahmoune s’en est également emparée au CNOSF. Engagée dans la place des femmes sur le terrain sportif, la vice-championne olympique de boxe et vice-présidente du mouvement sportif français s’est « vite rendue compte que pour faire bouger les lignes sur le terrain, il fallait d’abord agir sur les instances dirigeantes. » L’ancienne boxeuse a mis sur pied en janvier 2020 le programme Dirigeantes, conçu pour les femmes souhaitant diriger des instances sportives, à tous les échelons. « On met en avant des notions de management, on explique comment se créer un réseau politique et comment prendre la parole en public. » Une trentaine de femmes participent à ce programme d’accompagnement.
Bientôt une présidente pour diriger le mouvement olympique français ?
Depuis la première élection d’une présidente fédérale en 1998 (Jacqueline Reverdy, à la fédération d’équitation), les mentalités ont évolué. Doucement, mais sûrement. « Il faut déconstruire la société : cela prend du temps, mais aujourd’hui, il y a une prise de conscience générale que le modèle qu’on applique n’est plus le bon », estime Marie-Françoise Potereau. Dans quelques jours, Anne de Sainte-Marie pourrait devenir, le 18 mars, la patronne de l’équitation et faire passer à trois le nombre de femmes à la tête de fédérations olympiques. Autre échéance en ligne de mire, et non des moindres : l’élection à la présidence du CNOSF en juin, auxquelles deux femmes et deux hommes se présentent. Une parité totale perçue comme « un beau signal envoyé par l’instance qui dirige le mouvement olympique français », estime Sarah Ourahmoune. « Emmanuelle Bonnet-Oulaldj (co-présidente de la FSGT) et Brigitte Henriques (vice-présidente de la FFF) sont des femmes très engagées, qui sont dans le système depuis longtemps et qui ont déjà prouvé leurs compétences. Les choses évoluent et c’est très bien comme ça. »
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